Les crises nous obligent à interroger notre consommation [Tribune]

L’invasion de l’Ukraine nous a mis face à une conséquence dérangeante de nos modes de vie : notre dépendance aux combustibles fossiles importés. Mais, en réalité, cela fait longtemps que les crises écologiques, économiques et sociales auraient dû nous inciter à questionner notre consommation.

NB. Une version légèrement modifiée de cette tribune a été publiée le 24 mars 2022 dans le Cercle les Echos sous le titre : En temps de crise, changeons notre consommation.

Photo prise par Markus Winkler, tirée du site Unsplash.


L’invasion de l’Ukraine a un effet inattendu : la consommation est entrée timidement dans le débat public. Emmanuel Macron a écrit dans sa lettre de candidature qu’il fallait former des citoyens et non pas seulement des consommateurs ; Bruno Le Maire a suggéré aux Français un effort sur leur consommation de combustibles fossiles. Ces déclarations sont notables, puisque le gouvernement a plutôt l’habitude de parler de « modèle Amish » pour tout ce qui remet en cause nos modes de vie.

Nos dirigeants considèrent la compétitivité comme un impératif et la sobriété comme un repoussoir.

C’est l’occasion d’observer le grand paradoxe de nos politiques publiques. Du côté de la production, les gouvernants exigent sans cesse de nouveaux efforts de compétitivité : baisse du coût du travail, davantage de flexibilité, moindre imposition du capital, recul de l’âge de la retraite et réduction des dépenses publiques. Mais, par contraste, quasiment aucun effort n’est attendu du côté de la consommation, comme s’il était illégitime de réclamer quoi que ce soit aux consommateurs. Nos dirigeants considèrent la compétitivité comme un impératif et la sobriété comme un repoussoir.

Or, cette approche a quelque chose d’absurde : en tant que consommateurs, les citoyens bénéficient des prix les plus bas possibles et du choix le plus large, mais, en tant que travailleurs, contribuables et usagers des services publics, peu importe si leur situation se dégrade. Eh bien, les crises viennent nous rappeler que tant que nous n’agirons pas aussi sur notre consommation, nous nous condamnerons à l’impuissance.

La crise écologique

Avec la guerre en Ukraine, il est apparu légitime de réduire notre consommation de combustibles fossiles, quitte à ce que cela touche à notre confort. En 2018, 30 % du charbon, 14 % du pétrole et 20 % du gaz que la France importait venait de Russie (INSEE).

Mais n’est-ce pas là une démarche qui répond également à la crise écologique ?

Le problème peut se formuler ainsi : le mode de vie dans les pays riches est très consommateur en ressources (combustibles fossiles, mais aussi métaux, biomasse, etc.), ce qui a pour conséquence de provoquer un réchauffement climatique et d’importantes pertes de biodiversité.

Au cours des dernières décennies, l’adoption de notre mode de vie par des centaines de millions de personnes dans les pays émergents fait que nous nous heurtons de plus en plus aux bornes du possible. À terme, la généralisation de nos habitudes de consommation dans un monde avec 8 ou 10 milliards d’habitants semble incompatible avec les limites de la planète.

Cette situation implique des efforts notables. D’une part, des investissements inédits dans l’efficacité énergétique et la décarbonation de nos systèmes de production ; d’autre part, de réels changements du côté de la consommation.

La crise économique

En France, le déficit commercial bat des records années après années, ce qui indique que nous vivons collectivement au-dessus de nos moyens. Alors que la position extérieure de nos principaux partenaires européens s’est améliorée depuis dix ans, la nôtre s’est dégradée d’environ 25 points de PIB (Eurostat) !

Ces difficultés conduisent les gouvernants à demander davantage d’effort de compétitivité. Pourtant, notre déséquilibre commercial n’est pas seulement un problème de production et d’exportations, c’est aussi un problème de consommation et d’importations. D’après les données des Douanes, entre 2000 et 2021, le volume de la demande intérieure totale n’a augmenté que de 31 % en France, alors que les importations de produits manufacturés bondissaient de 84 %.

Plutôt que de continuer à tout mise sur des politiques de compétitivité qui n’ont jamais permis de combler les déficits, pourquoi ne pas envisager des efforts du côté de la consommation ? Le contexte s’y prête bien, puisque les sondages montrent l’émergence d’un courant d’opinion en faveur de la relocalisation d’activités industrielles, ce qui obligerait à s’éloigner de la logique des prix bas.

La crise sociale

La révolte des Gilets jaunes et l’omniprésence du thème du pouvoir d’achat symbolisent la crise sociale que la France traverse. Cependant, il serait trompeur de croire que l’on aurait affaire à une simple demande d’accroissement de notre abondance matérielle. Entre 1979 et 2019, le niveau de confort des Français a beaucoup augmenté, mais, dans le même temps, la part des gens qui déclarait devoir se restreindre sur l’alimentation a triplé et la part des personnes contraintes sur leurs dépenses de santé a été multipliée par sept (INSEE) !

En réalité, la crise du pouvoir d’achat vient de la tension entre des revenus qui augmentent peu depuis 2008, des dépenses contraintes qui s’alourdissent (en particulier le logement) et des normes de consommation qui ne cessent de s’élever : nouveaux équipements numériques, véhicules surdimensionnés, etc.

Répondre aux crises actuelles nécessite donc de replacer nos modes de vie au cœur de la discussion politique. C’est-à-dire de rappeler la dimension collective de nos habitudes de consommation et de débattre de la manière la plus juste de répartir les efforts et les gains entre classes sociales.