L’écologie au détriment de la France ? [Tribune]

Les écologistes sont durement attaqués au motif qu’ils ne tiennent pas suffisamment compte des intérêts de la France. Mais un effort de sobriété ne serait-il pas justement à l’avantage de notre pays ?


NB. Cette tribune a été publiée le 07 juillet 2021 dans le Cercle des Echos (sur ce lien).

Photo prise par Ehimetalor Akhere Unuabona, tirée du site Unsplash.


D’après les études, il est clair que l’opinion publique française a basculé en faveur de l’écologie. La dernière vague du baromètre de l’Ipsos sur les « Fractures françaises » mesurait que 77 % des Français se disaient prêts à ce qu’on leur demande de changer leurs modes de vie « en profondeur » (dont 75 % parmi les employés et 70 % parmi les ouvriers).

Néanmoins, malgré cela, il est toujours aussi difficile de discuter sereinement de ces questions. Les écologistes sont en permanence accusés d’appeler à l’appauvrissement de la France au nom d’une idéologie ; Emmanuel Macron lui-même ne s’est-il pas moqué du « modèle amish » ?

Il faudrait pourtant faire preuve ici d’un peu de mesure.

L’insuffisance des actions en faveur de l’écologie

Les écologistes dénoncent l’inaction du gouvernement. En dépit des discours volontaires, la France reste en deçà de ses objectifs climatiques, comme le rappelle chaque année le Haut Conseil pour le climat. Et ces objectifs climatiques ne tiennent même pas compte des émissions importées, qui représentent pourtant une part importante de l’empreinte carbone du pays !

Deux choses expliquent cette impuissance. Premièrement, les montants investis dans l’efficacité énergétique et l’innovation technologique ne sont pas encore assez importants. Un modèle de l’INSEE d’octobre 2020 estimait qu’il faudrait au moins doubler les efforts actuels.

Deuxièmement, Le gouvernement n’envisage pas d’explorer la voie de la sobriété, c’est-à-dire la réduction de notre volume de consommation matérielle (moins de gadgets, des produits plus durables, des équipements renouvelés moins souvent, une alimentation moins carnée, davantage de low tech). Or, d’après les travaux scientifiques, nous avons peu de chance de combattre efficacement le dérèglement climatique – et la chute de la biodiversité – sans nous attaquer directement à nos modes de vie. Ici les écologistes peuvent critiquer à bon droit les insuffisances de l’exécutif.

La planète et l’intérêt national

Pour autant, cela implique-t-il que le gouvernement devrait en faire plus ? Pas forcément !

L’exécutif a en charge les intérêts de la France, pas les intérêts de la planète. Il existe évidemment des points de convergence entre les deux, puisque les catastrophes environnementales ne nous épargneront pas ; cependant, l’écologie ne constitue qu’un seul des multiples éléments qui forment l’intérêt général français ; on y trouve également l’emploi, la compétitivité, la cohésion sociale, le financement des services publics, etc. La difficulté – et la grandeur – de l’action politique est justement de parvenir à tenir ensemble les principales dimensions de la vie collective.

Si, tout bien pesé, Emmanuel Macron estime déraisonnable que la France en fasse plus que les autres nations sur les enjeux écologiques, il n’a pas à hésiter. En revanche, qu’il le dise et l’assume vraiment ! Dans un régime républicain, il est essentiel que de telles décisions soient présentées et débattues publiquement, et non pas cachées derrière des exercices de communication.

Sobriété et intérêt national

L’objet du débat devrait donc être le suivant : Emmanuel Macron a-t-il raison de penser que nous n’avons pas intérêt à aller plus loin sur les questions écologiques ? Car, en l’occurrence, il se pourrait bien que l’exécutif se trompe dans son évaluation des choses.

Bien sûr, sous l’angle des indicateurs économiques usuels, la sobriété paraît très déraisonnable, puisqu’elle s’attaque à la consommation. Mais n’y a-t-il pas une divergence de plus en plus forte entre nos intérêts nationaux et nos conceptions économiques traditionnelles ? Dans un pays où les classes populaires sont frappées par le chômage de masse, où de vastes territoires sont en déprise et où le déficit commercial est structurel, n’est-il pas sensé de vouloir relocaliser des activités industrielles pour la consommation intérieure, quitte à ce que le surcoût entraîne un effort de sobriété ? Dans une conjoncture incertaine (tensions internationales et catastrophes écologiques), ne serait-il pas sage d’entreprendre de réviser nos modes de vie pour moins dépendre des hydrocarbures et des marchandises importés ?

Voilà les questions qui devraient nourrir la conversation civique. Après tout, il n’est pas évident que l’adaptation permanente de la France aux arbitrages de la mondialisation ait tellement bien servi nos intérêts.

Finalement, les écologistes pourraient adopter un ton moins moralisateur, car ils commettent souvent eux-mêmes une erreur morale : le langage politique par excellence n’est pas celui de la planète, mais celui du bien de la cité. En même temps, il faudrait que le gouvernement accepte lui aussi de se remettre en question, car il commet peut-être de son côté une erreur intellectuelle dans son évaluation de ce qui est bon pour le pays.

En définitive, une discussion féconde autour de l’écologie réclame que l’on remette au centre du débat nos intérêts collectifs, au-delà des indignations des uns et des certitudes des autres.

Sobriété – Relocalisation – Amitié